Le Président - de Yves Jeuland

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Un personnage de cinéma, c’est d’abord un corps en mouvement. Et dès le début, on est en plein dedans avec ce plan de Frêche qui avance, cramponné à sa canne, courbé par l’âge et par son propre poids. Diminué mais quasi-mythique ("gardez la canne, ça fait Churchill" dit un conseiller), il sait jouer de sa faiblesse et surveille sa parole mieux qu’on ne le dit. Il a peut-être quelques mots de trop mais reste marqué par cette constance : pas de heurts dans le passage du in au off. Freche en fait toujours trop, même dans la sphère privée quand il s’enfile des tranches de jambons entières dans la bouche ou finit un yaourt en léchant ses doigts. C’est aussi une attitude, un orgueil, des sursauts de dignité. A ce sujet, Frêche n’a pas besoin de ses fiches écrites au gros feutre noir pour foutre un coup de pression monumental à Marc-Olivier Fogiel. Il demeure aussi fantastiquement libre quand il s’entête à insulter ses adversaires devant la presse nationale, malgré l’opposition de ses conseillers qui se décomposent dans les coulisses.

 Pour autant, un personnage de cinéma, c’est aussi un enjeu. Et là, ça bloque. Qu’est-ce que veut Frèche ? Pourquoi cette 31ème campagne électorale, gagnée d’avance ? Pour emmerder un peu plus "les élites socialistes du 6eme arrondissement" ? Pourquoi pas. Mais cette campagne, malgré les dérapages qui s’accumulent (la tête de Laurent Fabius, la statue de Lénine, l’hommage à Mao) ne paraît jamais en péril. Ni Frêche ni ses conseillers n’ont peur de perdre et le film ne fait jamais semblant de gagner en intensité. Tout ça n’est qu’une sorte de promenade de santé avant de retourner à l’exercice d’un pouvoir parfois fastidieux (très beau plan des signatures en cascades de documents officiels). Frêche, tout animal politique qu’il soit, apparaît rassasié, serein et surtout énigmatique. Je crois que j’ai relevé deux phrases qui me paraissent complètement sincères de sa part : "Je suis épuisé", un soir en voiture. Et "fais-moi un Campari soda", plus tard, chez lui. Pour le reste, c’est le flou artistique. Comme ce magnifique "Vive Lénine ! C’est toute ma jeunesse, ça !" qui clôt le film et qu’on ne sait pas interpréter. Tout comme on ne saurait dire si le cynisme à toute épreuve est, en 2010, un défaut ou une qualité.

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