Noyau Dur : quand l'histoire continuait

 

    
Le 22 mai 1998 à l’Olympia, c’était jour de fête pour le Secteur ä. Stomy Bugsy et Passi, anciens renégats devenus solvables, étaient censés reformer le Ministère AMER d’une minute à l’autre. Doc Gyneco était riche, mince, cynique et encore un peu intéressé par la musique. Et les Neg’Marrons étaient trois. Peu de temps après, Kenzy s’est trouvé accusé de racket (sans que rien ne soit vraiment prouvé, d’ailleurs), Passi a pris de la distance, Gyneco s’est retrouvé isolé par son succès et Stomy  a sorti Mixomatose, peut-être l’album avec la pochette la plus moche de toute l’histoire du rap français. Pour sauver le secteur ä, restait donc  Ärsenik, Janik et les Neg’Marrons restants. Ainsi que Pit Baccardi, qui venait d’arriver. Ensemble, ils ont sorti Le public respecte, premier titre du Noyau Dur, à retenir pour l’intro de Kenzy qui sentait bon la vendetta ("dédicacé à ceux qui sont morts en changeant de bord").  Ah, c’est sûr, un album du Noyau Dur piloté par Kenzy aurait eu de l’allure. Ca aurait été un album de commando, éclaboussant l’auditeur de l’arrogance de ces Noirs devenus trop riches, trop vite pour ne pas faire peur à France 2, M6, Libération. De l’émancipation sociale en forme de capitalisme sauvage. Là, je parle 2000. Car en 2005, un album du Noyau Dur était déjà un anachronisme dans le monde du rap français.

 

Enregistré fin 2004 et sorti un an plus tard, l’album entier est un déni du temps qui passe. Au lieu de s’appuyer sur leurs acquis, les rappeurs s'épuisent à tenter de rattraper les modes. Ils dupliquent la même recette easy-listening (OP, Réconciliation, Partis de rien), invitent leurs petits frères à rapper à leur place (l’interminable Sons des Loups), replacent des morceaux sortis ailleurs (Dead, Besoin d'ennemis). Heureusement, deux morceaux sauvent le disque. Mode Guerre, passe-passe régressif sur une prod hybride (simili-Swizz Beatz de 2001 avec des sirènes West-Coast) où la dynamique de groupe joue à plein. Et surtout, Instinct de Survie, meilleur morceau de rap-de-1998 enregistré en 2004. Le sample de Denzel au début rappelle les intros de Quelques gouttes suffisent, Mystik est plein de hargne, d’insultes et de décalage horaire ("2005 verra mon retour" pour un album sorti en 2006), les Neg marrons chantent un refrain plaintif et sentimental comme on aimait les aimer, Pit est dans un bon jour … Et Lino (qui passe le reste de l’album à ne surtout pas forcer son talent) lâche un cri du cœur déchirant : "Laisse le rap, moi je veux que tu m’aimes, connasse !" qui continue à me hanter. Vous le savez déjà, ce ne fut pas suffisant pour sauver l’album, même si le single Viens connut un vrai succès d’antennes en passages radio/tv.


Ce disque reste surtout leur dernière trace conséquente dans les bacs (album des Neg Marrons en 2008, excepté).  Depuis cinq ans, les anciens membres du collectif continuent de s’effacer doucement du paysage musical, sans qu’on ait eu le temps de prendre la mesure de l’impact historique du secteur ä sur le rap français. La Mafia K’1fry, NTM, IAM ont tous eu leurs livres et leurs documentaire mais l’histoire du secteur ä reste encore à écrire : c’est celle d’un long lendemain de fête.

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