Les mésaventures de Peter David

          hulk-024-copie-1.JPG

"- Si tu as envie de pleurer, laisse tomber, tu ne m'auras pas comme ça.

- Je n'ai plus de larmes."

Octobre 2009 aura eu son lot de bonnes nouvelles : Panini France a annoncé qu'ils allaient rééditer l'intégrale des épisodes écrits par Peter David sur L'Incroyable Hulk. Pour les profanes, ça ne veut rien dire, pour les fanatiques dans mon genre, le jour de gloire est arrivé.

Avant Peter David, la série Hulk n'était pas la plus prestigieuse de Marvel. Entre centre de formation pour les jeunes scénaristes et asile de pré-retraite pour quelques vieilles gloires, Hulk était une plaie, une série maitenue dans les kiosques en raison de sa célébrité télévisuelle. Et puis un jour, un ancien employé de Playboy, affecté au service des ventes de Marvel  s'est pointé en disant qu'il voulait écrire. Déterminé, il a pris la seule série qu'on lui proposait, celle que plus grand-monde ne lisait et sur laquelle il ne pouvait pas faire trop de bêtises. C'était mal le connaître. Resté 11 ans sur le titre, Peter David a transformé un titre condamné en l'œuvre  de presque toute une vie. Parti de rien, ou si peu (la série télé avec Bill Bixby), il a injecté dans le titre une batterie d'influences (la mythologie grecque, le Frankenstein de James Whale, les théories de Freud sur le surmoi et le ça, le mythe d'Orphée, Stephen King et attendez, j'ai pas fini..), ainsi qu'un sens très sûr de la construction, ménageant de nombreuses digressions comiques dans une grande structure Tragique (la majuscule est de rigueur). De son arrivée à son dernier épisode (un huis-clos où un hippie paralytique refait l'histoire de la série, à la manière de l'épilogue de La 25eme Heure), Peter David s'est tenu à un crédo : faire souffrir des personnages  qu'il aimait terriblement. Pas par sadisme, non, mais parce que le genre du comic-book mensuel l'exige.

Je m'emporte peut-être parce que j'ai découvert ses épisodes quand j'avais 9 ans et demi mais leur relecture m'amène à penser qu'ils ont largement passé le test des années. Surtout, Peter David m'a appris que, au fil du temps, un scénariste armé de patience peut transformer des archétypes limités (le sidekick Rick Jones, la fille de militaire coincée Betty Ross, l'alter-égo en papier calque Bruce Banner) en quasi-êtres humains, nourris d'empathie et de contradictions, avec chacun une bonne dose de culpabilité sur les épaules et pas mal de problèmes à régler dans leur tête. A l'image de cette scène de ménage contre-nature sur le sommet d'une montagne, entre Hulk et sa femme, seulement éclairés par un bout de lune. Il en faut de la finesse, pour rendre émouvante ces pages de thérapie de couple entre une femme qu'on connaît à peine et un mur de briques gris (Hulk, si vous suivez) qui n'en a, pour ainsi dire, rien à foutre quand il la voit pleurer ("Je pensais que tu n'avais plus de larmes ? - J'ai menti, ça m'arrive").

Succès critique et série culte, Hulk a finalement brisé le coeur de Peter David, qui pensait qu'il était  tranquille, et qu'il pouvait faire ce qu'il voulait avec son géant vert (ou gris). Mais cette fois, c'était bien mal connaître Marvel. Pensez donc ! On n'allait pas lui laisser toute liberté sur un titre qui rapporte autant d'argent!  Peter David, attaché à ses personnages comme à ses propres enfants, a donc dû s'en séparer, débarqué  en quelque sorte pour excès de succès. C'est cruel, mais c'est bien le plus beau compliment qu'on pouvait lui faire.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :